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François Declercq
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François Declercq
20 février 2012

Tripoli, 20 février

Tripoli, lundi 20 février,

 

Traverser une nouvelle fois la méditerranée, se retrouver dans cette ville qui petit à petit et très étrangement devient à chaque fois plus familière.

 

Tout commence ce matin à Zaventem, départ dans la nuit pour Francfort, il gèle ou presque, nous patientons que les contrôleurs aériens allemands en grève nous laissent partir, dégivrage, décollage.

 

Difficile d'imaginer que dans quelques heures je serai à Tripoli. Pour le moment il n'est question que de café, de petit déjeuner, de retard, d'avion, de salle d'attente.

Je suis pris dans la grande essoreuse à passagers qu'est Francfort, on va, on vient, on fait du shopping sans regarder trop les prix, le décalage horaire ou le réveil à des heures indécentes est parfait pour ce genre de lieux.

 

Espace feutré de l'avion, quelques passagers, une quarantaine, embarquent. Il y des hommes d'affaires, des italiens, des allemands, des anglais, des libyens. Devant moi dans le bus une famille qui arrive de New York, premier voyage en Libye depuis longtemps si je comprends bien ce que crient les enfants, alternant arabe et anglais.

Deux heures trente de vol, entre l'apéritif et le plat de pâte trop salé je vois passer les Alpes, puis la plaine du Po, et la Méditerranée… Longue sieste avant d'arriver à Tripoli.

Etre parti depuis 4h du matin accentue l'effet de dépaysement. J'ai la sensation d'être vraiment loin de tout, de chez moi surtout.

L'hiver apporte du vert au paysage, on est loin des couleurs ocres de septembre.

 

L'aéroport est à ma surprise très agité, plusieurs avions sont alignés, il n'y a plus les carcasses des airbus Afrikya bombardés en aout. Qatar Airways, Alitalia, Lufthansa, autant de liens qui fleurent la reprise, le Qatar a beaucoup fait pour la logistique du CNT, l’Italie est chez elle… La nouvelle aérogare attend sagement d’être achevé.

 

En sortant de l’avion, sur la passerelle couverte d’une moquette rouge improbable, déroulée en hâte pour faire neuf on découvre des impacts de balles. Tiens, oui, c’était il n’y a pas si longtemps…

L’immigration se fait en un clin d’œil malgré la foule. On prend note de nos noms et numéros de passeport en voyant la caméra, petite formalité qui ne servira sûrement à rien. Il n’y a que des hommes, aussi bien employés que voyageurs. Des autres vols sortent des libyens, des indiens, des italiens. On est là pour travailler, pour affaire. C’est du sérieux.

 

Ce voyage s’avère être d’une simplicité et une fluidité déconcertante. Une foule compacte attend à la sortie, on essaye gentiment de nous trouver un taxi, un chauffeur, un hôtel, mais tout ceci est coupé net par notre correspondant local qui nous emmène à sa voiture.

 

Je retrouve immédiatement le chaos de la circulation, des parkings, les voitures se faufilent, klaxonnent, au milieu des passagers et de leurs chariots.

 

Cette ville n’a rien de beau, et les évènements de l’an dernier ont laissé les projets en plan, les constructions sont à l’état de chantiers croulants, là un centre commercial dont seule l’enseigne donne encore une idée du faste désiré, ici un hôtel inachevé. On maintient l’infrastructure, un point c’est tout.

Après 10 kilomètres le premier et seul barrage de la route. Les rebelles qui depuis sont légitimes, délimitent leur territoire. Un drapeau berbère flotte à côté du libyen.

 

La première surprise est de voir les murs de la résidence de Kadhafi à terre, il ne reste plus qu’un grand tas de gravas. Les murs sont tombés, ce terrain appartient à tous. Il reste un pick-up peint aux couleurs libyennes surmonté d’une carcasse d’arme automatique devant la porte principale, pour la parade.

 

La première étape de la mission est d’obtenir une copie du permis de tournage. Notre fixer a négocié ce papier un mois durant auprès du ministère de l’énergie et l’obtenir enfin est un petit miracle. Nous n’attendons que dix minutes dans de grands fauteuils de skaï verts posés au milieu d’un hall gigantesque avant que s’agite sous nos yeux incrédules le fameux papier.

Néanmoins il faudra refreiner notre joie, d’abord un membre du ministère de l’énergie viendra avec nous sur tous les sites et lors de tous nos déplacements, ensuite, le ministère ne peut être garant à 100% des décisions qui incombent aussi aux responsables locaux issus de clans ou tribus différents…

Nous verrons sur place.

 

Je dois avouer que la bureaucratie de la Libye kadhafiste a l’air implémentée d’une manière différente. On est peut être plus coulant, mais on ne maitrise pas mieux.

 

Une fois installé à hôtel, le même qu’en 2010 je vais explorer le centre. Je retrouve le café d’en face, serré et délicieux, à l’italienne, le marchant de gâteaux qui me reconnaît en passant. La ville est méconnaissable par rapport à cet été. L’activité a repris, les boutiques sont ouvertes. Des drapeaux libyens flottent partout, marquant le premier anniversaire des soulèvements de 2011. C’est la fin du jour, on presse pour faire des achats. Mon heure préférée.

Tout a changé et rien en même temps, tout à coup je croise trois pseudo militaires armés, la mitraillette en bandoulière. Puis, alors que quelques personnes s’évertuent à régler une sono crachant une musique trop forte dans la rue pour marquer le 17 février, on entend une série de coups de feux, puis une autre. En quelques instants je retrouve cette ambiance qui m’avait effrayée en septembre. Je regarde mon collègue, il n’aime pas non plus mais les gens restent indifférents. Tout va bien donc…

 

Je fais le tour du souk, traverse le marché. Je découvre les boucheries, les poissonneries. Je ne saurais le décrire précisément mais il y a dans l’air quelque chose de différent par rapport à 2010 et aussi par rapport à cet été. La vie a repris, tout simplement, différemment.

Les boutiques sont les mêmes, certaines sont fermées, d’autres ont été détruites, le rideau de fer est éventré.

 

La nuit tombe rapidement. L’heure magique passe. Nous cherchons à manger, on se sent en sécurité mais la nuit peut réserver des surprises. Apparemment c’est dans les campagnes qu’il faut éviter de circuler la nuit. Sur la place des martyrs je découvre les portraits de ces derniers, avec en général une légende donnant le lieu de leur mort et la date. Même en cherchant bien il n’y a plus aucune trace de Kadhafi, je trouve juste entre des étals de souvenirs aux couleurs de la révolution des photos montages de Kadhafi dansant en bikini ou déguisé en juif et autres subtilités.

 

La dernière surprise de la journée sera de croiser une collègue d’AFP rencontrée en septembre, elle vient d’arriver, me reconnaît tout de suite. Elle reste ici un an…

 

De ce coté ci de l’Afrique du nord on se sent coupé de tout. Ce sentiment de chamboulement pour un inconnu vague est toujours aussi prenant. Tout reste ouvert. Nos idéaux semblent lointains. Mais les libyens ont l’air sereins, il font de nouveau le plein d’essence pour 4 euros, et vendent leur pétrole.

 

Demain, justement je vais filmer des pipelines et des pétroliers. But du voyage.

 

Je vous laisse, allant demander à la réception pour la deuxième fois de la soirée de couper la musique d’ascenseur qui dégouline  du hall jusque dans ma chambre.

 

Je mettrai es photos demain...

 

 

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