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François Declercq
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François Declercq
21 février 2012

Trioli, 21 février

Tripoli, 21 février

La journée est celle d'un tournage en terre inconnue, au milieu des pipelines, sous la pluie.

Après deux visites à la réception les classiques de la musique d'ascenseur ont enfin fini d'envahir ma chambre. J'ai été bercé par la pluie toute la nuit, régulière, entrecoupée du bruit des voitures dans les flaques d'eau grandissantes devant l'hôtel.

Le fixer est arrivé plus ou moins à l'heure avec notre ami du ministère de l'énergie. Quel est son rôle, on n'en sait rien, et le mystère restera entier jusqu'à jeudi. Il est fort sympathique, souriant, faisant des blagues sur nos noms, nous racontant son dernier voyage à Paris, son amour pour la France et Sarkouzy. Il occupe le fixer/chauffeur ce qui nous permet de papauter à l'arrière ou de la faire la sieste.

Nous quittons la ville sous la pluie, au milieu des embouteillages en slalomant entre les flaques d'eau qui rendent certains carrefours impraticables…

Une heure de route à tombeau ouvert, je ferme les yeux parfois, nous avons beau répéter qu'il n'y a pas d'urgence rien n'y fait, il faut foncer.

Nous arrivons à Zawiya, haut lieu de la résistance rebelle, ville stratégique pour ses deux raffineries et son terminal pétrolier que nous allons filmer.

Les armes qui avaient disparu de la vue se multiplient soudain à l'entrée du complexe, un adolescent de 12 ans nous accueille avec le sourire tout en montrant sa kalachnikov. Nous sommes les bienvenus, l'ambiance est détendue, un responsable fait assoir dans son bureau avec une tasse de nescafé ultra fort. On fait quelques blagues en anglais, en français, en arabe. On nous assigne un guide pour la visite, un grand bonhomme au look italien, emmitouflé dans un pardessus bleu marine, arborant une écharpe bleue à motifs très élégante et une casquette anglaise en laine. Il dénote complètement mais nous guide dans tout le site le sourire en coin.

J'ai toujours cette sensation que rien n'a changé et tout à la fois. Le nouveau libyen drapeau a été peint à la hâte pour masquer l'ancien un peu partout, la bureaucratie a laissé place à un protocole plutôt débonnaire. Certes les bureaux de la raffineries sont décrépis et n'ont pas vu l'ombre d'une rénovation depuis 1960, certes le nombre d'employés reste un mystère tant chacun a l'air de ne rien faire, certes les dossiers et papiers inutiles ont l'air d'encombrer les bureaux tout autant, mais on ne lit plus cette interrogation sur les visages dès que l'on pose une question comme en 2010, chacun a l'air de savoir ce qu'il fait et pourquoi et nous ne sommes pas ballotés d'un bureau à l'autre comme cela avait pu être le cas.

L'accès au site est surprenant, nous pouvons tout filmer, absolument tout, la seule restriction sera de ne pas nous laisser monter sur le toit des réservoir de pétrole de 1 000 000 de litres. C'est de là que part une partie de la production libyenne de pétrole vers l'Europe et ailleurs, nous apercevons les bateaux amarrés au loin en train de charger.
La commission européenne attend sûrement des images au soleil, tout le tournage se fait sous la pluie, dans les bourrasques de vent. Je protège ma caméra tant bien que mal avec un sac poubelle et essuie l'objectif toutes les 2 minutes.
Nous déjeunons, invités par la direction, dans un réfectoire immense éclairé au néon digne d'un Jacques Tati version africaine et défraîchie.

Fin de tournage, retour de nouveau à tombeau ouvert dont je ne vois rien heureusement grâce à une sieste bienvenue…

Je me retrouve à Tripoli à 16h, avec une fin de journée toute à moi mais guère de choses à faire ou à voir. Je tente une visite au musée d'archéologie qui semble ne pas avoir réouvert.
Mon collègue et moi errons dans cette ville que la pluie a rendu boueuse et encore plus crasseuse. Les flaques d'eau croupissantes ont rejoint les flaques d'eau de pluie, les voitures aspergent les passants.
Ce soir je ne me sent que moyennement à l'aise. A chaque carrefour, à chaque boutique on se sent dévisagés, souvent de manière positive, parfois intrigués ou bien légèrement agacés par la présence qui est la notre dans une ville où les européens se comptent sur les doigts d'une main. Mais certains nous hèlent de loin et exigent une photo d'eux en riant comme des enfants.

Je ne sais quoi penser de ce qui attend ce pays. On vit encore sur les restes fumant d'une révolution, on affiche les portraits des martyrs, on ne parle plus de Kadhafi, on a peint le pays de noir vert rouge. Mais on sent qu'on ne sait pas vers où aller, que le pouvoir est morcelé, que le danger pourrait survenir au coin de la rue, que certaines vieilles habitudes sont toujours là, je ne citerai qu'un exemple : notre hôtel est presque vide et pourtant nous avons juste deux voisins et la clef de notre chambre est bizarrement introuvable ce qui oblige un employé à nous ouvrir à chaque fois…

Je m'interroge. Une chose est certaine, je ne vivrais pas ici…

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